TRAVELLING 2021 LA NOUVELLE-ORLÉANS – Genius Loci de Adrien Mérigeau (2019)

Il y a dans le monde de Reine ce jeu du symbole : un œil qui nous scrute et qu’on ne comprend pas encore. Un regard qui apporte un cri. Comme un enchaînement sémiotique qui se métamorphose par la synesthésie mais dont la récurrence obsède et se divinise : d’un simple motif de boucles d’oreilles à un satellite de la femme. Reine se redessine à chaque instant dans une ville trouble, la focale du tracé assume une subjectivité poétique, une superposition organique entre les personnes et le décor. Pourtant, ce serait presque réducteur de parler d’une fable contemporaine. Ce court-métrage transperce par son pouvoir de suggestion qui a le don de puiser dans une imagination commune, nécessaire pour survivre à la ville. L’histoire d’une soirée est peut-être celle d’une année entière, de vies à imploser sans jamais pouvoir se calmer : le récit est un courant aquatique qui panse les plaies et fait boire la tasse quand on s’accroche de trop près aux mots.

Ces mots d’ailleurs, faut-il en parler ?

La ville exulte, rugit; la douceur d’un timbre rose devient un nouveau spectre dès qu’il entre en Reine. Sa propre voix ne se donne plus le droit de sortir, comme étouffée par son pouvoir dans la petite église. Son monologue silencieux s’écrit sous nos yeux, dans le ciel pétrolier du capharnaüm urbain, et c’est son écoute qui magnifie les lieux.

Le rêve peuple les toits, Reine recrée cette cité inhabitable, son fantasme lui échappe. C’est un chaos dévastateur dont la soif de sang enveloppe un appel déchirant à la vie, à une autre création d’un monde grisé de routines. Cette quête de nature (voire un transcendantalisme sombre ?) mène à une animalisation que Reine projette sur les autres avant de la trouver en elle. Les chiens rôdent dans les égouts et ce sont leurs murmures qui mordent. Les yeux de Reine rougissent quand elle imprime sa rage dans son foyer. Mais Reine est belle. Et on ne peut se détourner de sa vie comme miroir effarant de la nôtre. Genius Loci propose enfin une réflexion sur la manière dont un corps occupe l’espace, puis dont les espaces entre eux déforment ce corps. L’opposition entre la chaleur étouffante de la petite maison et le givre mordant des rues constitue la première plaie de Reine : celle de ne pas savoir où elle est.

Louise Le Tendre-Roblin

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