Travelling Taipei 1 – 14 Pommes (2017) de Midi Z

Midi Z réalise 14 Pommes en 2017 après plusieurs grosses productions de fiction, notamment Ice Poison (2014) et Adieu Mandalay (2016). De ce besoin d’alterner entre grosses et petites productions, naît 14 Pommes dont l’équipe de tournage se limite au réalisateur et sa caméra. Dans ce documentaire, le réalisateur taïwanais originaire du Myanmar (anciennement Birmanie) suit un de ses amis, Shin-Hong, dont le difficile retour au Myanmar lui cause des insomnies. Sur les conseils d’une diseuse de bonne volonté, il achète 14 pommes et part pour 14 jours dans un monastère situé dans un petit village en montagne au centre du pays. 

Ce film suit son voyage spirituel pour soigner ses insomnies et nous fait découvrir par là-même la vie communautaire qui s’organise autour des bonzes (moines bouddhistes) dans la campagne birmane. Dans la culture birmane, devenir bonze est un passage commun pour les hommes. Contrairement à ce à quoi nous habituent nos coutumes occidentales, au Myanmar devenir moine n’implique pas nécessairement un engagement à vie, mais est le plus souvent l’affaire d’une période déterminée. Ainsi, devenir bonze est souvent un passage à l’âge adulte. C’est pourquoi beaucoup de jeunes adolescents le deviennent, comme le montre le documentaire. Parfois devenir bonze est aussi un moyen pour les familles nombreuses de se décharger de certains de leurs fils, c’est ce que Midi Z dit avoir découvert lors du tournage, et qui nous permet d’ouvrir un nouvel angle de lecture sur le film.

Avec 14 Pommes, non seulement Midi Z nous apprend ce qu’est une vie dans une communauté birmane organisée autour de bonzes, mais il nous y immerge. Le cinéaste s’efface derrière sa caméra à tel point que son ombre sur une voiture, seule marque de sa présence pendant le film, nous surprend. Sa caméra disparaît en étant ignorée des regards de la communauté pour laisser place à notre propre subjectivité. Loin de porter un regard objectif voire critique, Midi Z nous propose de prendre place au sein de cette communauté en faisant l’épreuve de leur temps, de leurs coutumes et des enjeux qu’elle traverse. On se retrouve alors nous aussi à porter un bol pour la récolte du riz ou un seau d’eau sur la tête pour remplir le puits du village, à faire le chemin, en file indienne et en silence. On assiste à leurs conversations en témoins attentifs et déculturés : partir travailler à l’étranger pour gagner sa vie, mais à quel prix ? comment les bonzes doivent-ils dépenser leur argent ? ou encore, où en trouver assez pour subvenir à leurs besoins ? En appartenant au paysage de la communauté, en se camouflant parmi ses habitants, on prend part à leur pays, à leur vie communautaire, tout autant qu’on en est témoin. Ainsi ce film, nous propose, en tant qu’Européens, de faire l’expérience de l’altérité, de prétendre être cet autre pendant 1 H 30. Finalement, si Midi Z propose de voir ce film comme une méditation, c’est avant tout parce que son rythme, son atmosphère et son contexte nous y invitent, mais c’est peut-être aussi en nous invitant à devenir bonze à notre tour. La mentalité pacifiante et régénérante qu’incarne le bonze se comprend aussi en écho avec le film Raining in the mountains (1979) de King Hu projeté lors du festival.

Inès Gobé.

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