Travelling Taipei 3 – Blue Gate Crossing (Yee Chih-Yen, 2001)

“Quand je ferme les yeux, je suis incapable de me voir, mais toi, je te vois parfaitement” 

Comment parler de Blue Gate Crossing ? L’émotion avec laquelle je suis sortie de la salle m’a presque laissée sans voix. On a rarement vu des films qui décrivent la jeunesse avec une telle subtilité et une telle justesse. En entrant dans la salle, on s’attend à un teen movie comme un autre, retraçant avec une certaine nostalgie ce qu’ont pu être pour certains et certaines les années lycées. Ce qui est frappant dans Blue Gate Crossing, c’est la manière dont le réalisateur parvient à nous retranscrire le point de vue d’une adolescente, et la spécificité de ce regard féminin. L’homosexualité féminine y est abordée dans toute sa complexité, loin des représentations stéréotypées ou fétichisées de certains réalisateurs. On ressent toute la douleur du personnage principal (Meng Ke Rou), incapable de s’exprimer à propos de sa situation, mais on sent aussi toute la douceur de son amitié avec Zhang Shi Hao. Les relations humaines y sont incarnées à l’écran, regorgeant de vie et d’émotion, sans jamais devenir larmoyantes ou touchantes à l’excès. 

C’est un film sur le non dit, sur l’absence d’action. Les personnages disent n’avoir rien fait de leur été, car c’est aussi ça la jeunesse : l’attente, les promesses déçues d’une vie palpitante, la recherche constante de soi. En regardant ce film, on peut retrouver cette sensation du temps qui nous file entre les doigts, une nostalgie déjà là dans le temps présent. 

La scène de fin m’a profondément touchée, avec ce dialogue intérieur du personnage principal qui s’imagine ce que sera sa vie dans cinq ans. Elle voit parfaitement celle de Zhang Shi Hao, devant un grand portail bleu, sûr de lui et de ce qu’il veut faire dans la vie. Meng Ke Rou est un personnage qui ne se représente aucun avenir, créant ainsi un vertige, celui de l’incertitude mais aussi de la liberté pleine et entière, une liberté angoissante, puisque sa vie future est un saut dans l’inconnu. Leurs bicyclettes s’entrecroisent, se frôlent, s’évitent comme deux destinées bien distinctes l’une de l’autre. Ce doute projeté sur l’avenir plonge le personnage dans une sorte d’entre-deux : elle quitte une forme de jeunesse et d’insouciance mais ne sait pas dans quoi elle s’embarque. Finalement, elle n’est pas si différente de Zhang Shi Hao, qui fait de la natation. Seulement, pour elle, la vie est une plongée en eaux profondes.En mêlant nostalgie et justesse des émotions, Blue Gate Crossing nous délivre un point de vue à la fois unique, singulier et auquel n’importe quel.le adolescent.e peut s’identifier. A travers cette esthétique nocturne et intimiste, on sentirait presque sur notre peau la chaleur de l’été, l’odeur des nuits fraîches et la fin de l’école, la douce mélancolie d’une jeunesse presque déjà terminée.

Louise Gandubert

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