Travelling 5 Taipei : Blue gate crossing (Yee CHIN-YEN, 2002)

Blue gate crossing est une romance à la tonalité dramatique abordant les premières hésitations amoureuses de Kerou, une jeune fille prise au piège d’un triangle amoureux, tandis que l’homosexualité n’est pas tant abordée dans le cinéma taïwanais. On y suit l’évolution de relations complexes entre Shihao, tombé amoureux de Kerou qui elle-même aime son amie Yuechen, laquelle ne désire que le jeune homme. Le film nous laisse le temps de nous attacher à chacun des personnages de ce schéma amoureux.

Passer la porte de l’âge adulte. Accueillir le doute.

La rencontre des corps, leur synchronisation, leur rupture.

La séquence de la piscine, cette parenthèse de l’indolence des corps par contraste avec le brut de la ville et ses couleurs vives. On pénètre dans cet univers aquatique avec une certaine nonchalance, comme Kerou, on se laisse guider candidement. La piscine, cet espace trop grand pour Shihao, où son corps solitaire se meut, essayant d’habiter le vide. Le silence puis le piano. La poésie des focales qui consacrent le flou à l’image, le doute, encore. Il est toujours là. Mêlé au grain intense de la pellicule, il s’humanise à l’écran. Les jeux de reflets sur les visages naïfs et timides des deux personnages, qui se répondent l’un à l’autre, presque sans mot, trouvent un écho intéressant dans la colorimétrie bleutée de l’eau.

Dans l’urbanité de Taipei, le temps semble étiré. C’est ce que promettent de faire ressentir le rythme des plans et la manière de filmer les sujets. En effet, la caméra, souvent fixe, s’autorise à laisser disparaître les personnages, sortir entièrement du cadre, sans mouvement. C’est ce temps suspendu entre la fin du cadre et la fin du plan qui rend l’attente irrésistible. Un jeu sur les contours dont on ne se lasse pas.

Blue Gate Crossing est un film qui nous donne à (re)penser l’adolescence, cette période ingrate et tellement belle à la fois. Ce pont entre deux mondes. Ici, ça passe par la violence du silence, et celui des mots. Leur maladresse dans un triangle amoureux qui ne répond plus, violence entre des personnages qui ne se comprennent plus. Là, elle prend une forme différente lorsque ceux-ci, ayant usé des mots jusqu’au bout de leurs sens, trouvent dans la violence physique une continuité d’expression.

Le baiser volé de Kerou à son amie Yuechen rend palpable le malaise sentimental. Il résonne creux, pas même relevé, et d’emblée balayé par une discussion pleine d’artifices. Quand les lèvres s’épuisent, les regards se rencontrent et parlent sans rien dire. Ce sont les raccords réussis d’un plan à l’autre, superposant même parfois un personnage à l’autre, qui assoient toute l’ambiguïté d’une intrigue à l’apparente simplicité.

Du film, on retiendra surtout la légèreté de ton dans la capture de l’ordinaire de la vie quotidienne par Yee CHIN-YEN. Blue Gate Crossing est une ode à l’adolescence dans toute sa complexité, réalisé avec simplicité. Il porte en lui une profonde interrogation sur la sexualité et sur les frontières ambivalentes de l’amitié.

Apolline Sacchi

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