TRAVELLING 6 – Moruroa papa de Paul Manate, 2022

Moruroa Papa s’ouvre sur Louis, filmé par son père, à qui il confie ses impressions quant au voyage qu’il va faire à Tahiti pour revoir ses grands-parents. On entre déjà dans l’intime, dans un rapport de proximité avec cette famille, que l’on apprendra à découvrir tout au long du film. Plusieurs fois Paul se remémore ses pensées d’enfant et se met à la place de son fils dans ce voyage mémoriel, un voyage sans cesse mu par une volonté de saisir ce qui lui échappe, où l’intime devient ce qui nous est le plus étranger, le plus occulte. Que faisait son père lorsqu’il travaillait à Moruroa ? Que se passait-il lors de ces essais nucléaires dont on disait qu’ils étaient sans danger ? A travers les photos, les bandes 16mm tournées par son père, les souvenirs d’une vie familiale, Paul essaye de trouver des réponses, tente de déceler à travers ces images ordinaires une vérité qui lui a été dérobée. Les frontières entre l’intime et l’histoire collective se brouillent peu à peu dans cette recherche identitaire, où le documentariste mêle le secret d’état au secret de famille.

Si les images que Paul tente d’interroger sont muettes, il se tourne alors vers son père, qui s’ouvre peu à peu à lui. Filmé dans un plan unique, son visage légèrement de profil et plongé dans l’ombre, il prend la parole. Le spectateur peut ainsi focaliser son attention sur ce qui est dit, plutôt que sur ce qui est montré, la voix de son père étant une des rares preuves tangibles et vivantes de ces essais nucléaires.  La voix comme outil d’exploration est aussi un fil conducteur qui tisse un lien entre les différentes générations : Paul, son père et son fils. Si  Daniel, le père de Paul, affirme que ces essais étaient sans danger, son fils Louis fait part d’une autre conscience, reflétant celle de sa générationRévélatrice d’une vérité intime, la voix est le miroir du passage du temps et de l’évolution des manières de penser.

Le rythme du film laisse aussi une place aux silences, des silences dans lesquels se cachent les interrogations de Paul, mais des silences qui à travers leur éloquence sont parfois plus révélateurs qu’une parole. C’est véritablement ces silences que le documentariste veut comprendre : un instant, derrière une vitre, il filme son père sans qu’il le sache, comme essayant de capturer dans l’intime de ces moments une vérité miraculeuse, que seules les images énoncent.

Le film se termine sur des images d’archives, retrouvées par Paul. Au milieu des visages riants et des corps dansants, il retrouve ces images de Moruroa, filmées par son père lorsqu’il y travaillait. On y voit la base militaire, mais aussi ses collègues de travail qui expriment la joie d’être là, l’insouciance de leurs actes, une assurance et la conviction de mener à bien un travail utile, sans risques. A travers ces images, Daniel exprime tout ce qui ne pouvait être dit par des mots. Elles sont un aveu final, une résolution. Ainsi, le cinéma révèle ici toute sa puissance en tant qu’objet de mémoire : il est un devoir de mémoire.

Louise Gandubert

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