Au nom du maire

Au nom du maire – Anca Hirte

Dans un bureau spécial de la mairie défilent un à un les citoyens d’une petite ville roumaine.  Chacun explique ses problèmes, du dégât des eaux à la détresse sociale, à une femme dont le nom et la fonction se dévoilent tout au long du film : Mme Hirte, conseillère du maire. Dans les premiers entretiens, il serait facile de croire que le film tombe dans une suite de catalogues pathétiques qui dépeignent la misère de certains habitants roumains venus chercher de l’aide auprès du maire. Mais un glissement de point de vue s’opère tout le long du film et renverse la tendance. Etant d’abord seulement invoquée à l’image par une voix hors champ, la conseillère apparaît progressivement à l’écran, et remplit peu à peu chaque plan; elle devient ce sur quoi la caméra se fixe. Son premier gros plan, lorsque celle-ci, les traits tirés, se maquille, met déjà en avant son rôle dans la vie et dans le documentaire : celui de représentant de l’institution, mais pas seulement; c’est aussi ce plan qui marque son entrée en scène symbolique dans le film mais aussi dans le bureau qui devient lui-même un lieu de tension où se déploient différents jeux de rôles. Progressivement, les échanges entre les deux partis deviennent des rapports de force entre l’institution d’un côté et la vie citoyenne de l’autre. La pièce s’établit alors comme un espace scénique divisé spatialement par la frontière du bureau entre le corps de la conseillère et ceux des habitants. La parole devient monnaie émotionnelle de la part des habitants ou reprise sèche, rationnelle, et administrative de la part de la conseillère.

Si les réponses de Mme Hirte peuvent apparaître parfois cruelles ou violentes, et c’est ce qu’ont tenté d’affirmer certains spectateurs lors du débat, ils posent notamment la question de la distance, et surtout de la bonne distance, qu’il faut trouver ou garder dans ces rapports de force singuliers où s’affrontent le particulier et l’institution à travers son représentant. Ces remarques tendent aussi à prouver que la théâtralité est nécessaire pour le bien de la communauté, que ce soit pour les habitants qui défendent leur cause au prix d’une certaine mise en scène de soi ou pour Mme Hirte qui doit rentrer dans son rôle de la dame au coeur de pierre, “trop souvent piétiné” dit-elle à la fin, pour pouvoir être efficace. Ainsi le film, toujours nuancé dans sa représentation de ces rapports de force délicats, glissant de la tragédie quotidienne à l’absurde. montre autant une femme au travail qu’une conseillère nécessairement sévère et autant de véritables individus en proie à la détresse que de comédiens venus réclamer l’aide du maire.

VIGNETTE-BDSCC

A travers cette multitude de portraits et de situations dans un bureau de mairie, c’est aussi et surtout un rapport particulier, quasi-religieux et paternaliste des Roumains vis-à-vis du pouvoir qui se dessine. C’est aussi ce point de vue très sévère de la réalisatrice, elle-même roumaine, sur ce trait culturel qui crée une collision avec la réception de certains spectateurs français sensibles aux problèmes sociaux parfois très graves de ces personnes. Toutefois, le spectateur comprend rapidement que la mairie, lieu de pouvoir, a un statut particulier et est pour ces personnes là où l’on se doit de demander de l’aide. Pourtant, celle-ci n’est pas nécessairement le lieu le plus préconisé pour traiter de problèmes sociaux tels que décrits dans le film, comme c’est le cas de cette femme qui cherche à contacter son architecte qui a disparu sans finir son balcon. Le maire, toujours absent, jamais vu dans le film mais toujours invoqué apparaît comme une figure mystique et divine capable d’exaucer les voeux de chaque citoyen. Il est ce Godot qui n’arrivera jamais, ce bon Dieu auquel les habitants font sans cesse appel, ce qui transforme peu à peu la pièce en théâtre de l’absurde où les situations font écho aux pièces de Ionesco. Mme Hirte, conseillère, se fait à la fois la prêtresse et la « petite mère » du peuple, en parlant justement “au nom du maire” et en assurant le rôle de représentante de l’institution auprès de laquelle les Roumains viennent chercher de l’aide, à l’instar d’enfants ou de mineurs désemparés. C’est ce trait de caractère qu’a voulu mettre en avant Anca Hirte, qui considère aujourd’hui que le peuple roumain doit s’émanciper des schémas de représentation du pouvoir, des régions roumaines vassales de l’empire ottoman au régime communiste.

Enfin, il est à noter que le premier film documentaire du festival en dehors des Portraits de Mellionnec est celui qui pose le plus fortement, même si cela reste en filigrane, la question du point de vue. Certains spectateurs se sont effectivement demandé s’il y avait un lien personnel entre Mme Hirte et la réalisatrice, Anca Hirte, et il s’est avéré que la première n’est autre que la mère de la deuxième. Si Anca Hirte a bien expliqué qu’il ne s’agissait pas de faire un film sur sa mère, la question de cette influence, minime ou inconsciente mais effective, sur le traitement de ce personnage reste en suspens.

Cyrielle Jourdois

 

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